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Anthropologie etc. - Page 9

  • Fin de l’anthropologie sociale ?

    Comme le souligne fort à propos le rapport de conjoncture de la section 38, l’anthropologie sociale est aujourd’hui marquée par la disparition de son projet fondamental qui était celui d’un inventaire des sociétés humaines, inventaire qui devait donner lieu, grâce à un processus de comparaison raisonnée, à la connaissance de lois ou tout du moins de régularités commandant les formes de vie collective et leur évolution dans le temps.

    INVENTAIRE ET COMPARAISON

    Les ordres sociaux, les cultures se mettraient en place, pensait-on, autour de quelques points fixes — les universaux, les invariants—, le reste devait obéir à de règles précises de transformation. Ce programme passe maintenant pour caduque. Certes aucune déclaration solennelle et publique n’a annoncé cet abandon. Plutôt que d’une décision consciente et brutale il y a eu une déshérence progressive, on ne s’est pas rué vers la sortie, mais le public s’est clairsemé et la salle est restée vide –à l’exception de quelques entêtés de la forêt amazonienne ou des hautes vallées de Nouvelle Guinée.

    En lieu et place d’un inventaire des groupes ethniques, s’est mis en place un autre inventaire. On se consacre plus volontiers désormais à examiner des configurations déjà repérées mais habilement reconstruites et réinterprétées dans des sociétés et des cultures sur lesquelles on sait déjà beaucoup de choses. En d’autres termes plutôt qu’un inventaire des choses inconnues on se livre à celui des choses connues, mais mal (pense-t-on).

    Ou bien, autre tactique fructueuse, on repère un « néo-objet ». De cette façon les néo-ruraux, les néo-indiens, les néo-vampires, les néo-chamanes, les tiffosi, les surfeurs, les martyrs jihadistes, les écologistes profonds et d’autres personnages hauts en couleur de la grande comédie humaine deviennent nos primitifs à nous, anthropologues du 21e siècle. Il faut avouer que de ce point de vue l’anthropologie s’est incroyablement renouvelée et a pris un essor fabuleux.

    On peut tirer sur tout ce qui bouge et la saison de la chasse n’est pas prête d’être close. Notre petite entreprise ne connaît pas la crise

  • Avis sur Le Capital du XXIe siècle, de Thomas Piketty

    Le véritable pouvoir de ce livre, et je soupçonne que l'une des raisons pour lesquelles il a été loué/considéré de manière si militante ces derniers mois, réside dans sa perspective macro-économique et longitudinale. Piketty s'intéresse à ce que le réseau d'information le plus large possible nous apprend sur le capital à l'ère moderne. Et ce qu'il nous dit est puissant, désillusionnant et finalement humilie les dogmes économiques de toutes tendances idéologiques.

    Il est tellement soucieux d'expliquer ces informations, de les décomposer par une litanie d'analogies et d'exemples concrets, et de parler de leurs limites et de leurs pièges potentiels, que parfois le lecteur ne voit presque pas l'image intimidante et complète de l'inégalité des richesses moderne qu'il a construite. Lire cela, c'est comme regarder un adulte entrer dans une pièce remplie de personnes qui ont depuis longtemps oublié comment être adultes.

    Dans Le Capital du XXIe siècle, Thomas Piketty Il synthétise les meilleures idées de penseurs économiques aussi divers que Marx, Ricardo, Kuznets, etc. tout en humiliant totalement leurs pires tendances idéologiques avec le genre de données qu'ils n'avaient pas ou étaient simplement trop motivés par leurs propres dogmes pour même envisager de les rassembler.

    En effet, on soupçonne que la raison pour laquelle tant de références historiques et culturelles du livre (Jane Austen et Honre de Balzac apparaissent dans ce livre, à la grande surprise et au grand plaisir de ce critique trop humaniste) viennent du XIXe siècle est que, comme le montre Piketty, nous revenons rapidement à un monde où l'inégalité économique ressemble et dépassera très probablement le type de stratification observé dans l'Europe du XIXe siècle.

    En bref, tous les indicateurs qu'il présente montrent un avenir possible où l'initiative personnelle et le travail acharné ne vaudront rien par rapport à la puissance des rendements des titres et des fortunes privées super-concentrés et largement hérités.

     

  • Recension du livre : Le Dérèglement du monde d'Amin Maalouf

    Voici un ouvrage qui servira d'appui aux cours d'anthropologie culturelle de la mondialisation :

    monde.JPGL’humanité va mal. Amin Maalouf n’est pas le premier à l’écrire ; il avoue d’ailleurs s’inscrire dans la lignée ou en contradiction de nombreuses théories. Mais au sortir d’une première partie - "Les victoires trompeuses" - qui fait l’état des lieux communs sur les dérèglements qui secouent l’humanité, on craint le ressassé improductif. C’est pourtant mal connaître l’écrivain et essayiste que d’imaginer le prendre au piège du bavardage autocentré auquel s’adonnent bon nombre de ses confrères. Une puissante empathie, un altruisme sincère et une vision éclairée d’un monde en passe d’atteindre "son seuil d’incompétence morale" guident cet essai captivant. En témoignent une démonstration éloquente de la perte de légitimité des puissants à travers les parcours d’Atatürk et surtout de Gamal Abdel Nasser, le président égyptien qui s’opposa à l’Occident et tenta d’unir les nations arabes.

    Car non seulement le regard d’Amin Maalouf fouille l’histoire des hommes dans ces plus obscurs recoins, mais son sens de la narration exalte sa pensée et guide son message jusqu’à nous. Ainsi apprend-on que les Mandéens, peuple vivant en Iraq depuis quatorze siècles, est en passe de disparaître à cause des violences commises dans le pays depuis l’intervention américaine. Une séquelle alarmante parmi d’autres de l’accélération du ‘Dérèglement du monde’. Alors l’auteur, qui se reconnaît à la fois dans la civilisation occidentale et dans la culture arabe, tente de tracer les voies d’une "coexistence harmonieuse" et d’une action groupée des peuples contre le cataclysme qui menace.

    La culture, selon Maalouf, doit être le vecteur de cette "réconciliation", pour vaincre les querelles de clocher qui embrasent le village global. Un essai pour penser le tumulte et repenser les règles qui le régissent.