Le discours économique libéral repose sur des postulats rarement présentés comme tels. Il semble par exemple évident que l'échange marchand obéit à la loi de l'offre et de la demande. Rares sont ceux qui remettent en cause le marché comme lieu naturel des échanges économiques. Le salaire apparaît au salarié comme la rétribution du travail qu'il a effectivement fourni. Etc., etc. Paradoxe.
C'est à l'époque où la pensée contestataire commençait à dénoncer en France l'hégémonie d'une pensée soi disant unique, qu'un étrange phénomène de mauvaise conscience a atteint la réflexion de nombreux économistes sur leur propre enseignement. C'est la période où a été éditée dans l'hexagone une pléiade d'ouvrages opposant les exigences de l'éthique à l'horreur économique. Le plus célèbre d'entre eux a emprunté cette formule rimbaldienne ("l'horreur économique ") pour en faire le titre d'un best-seller (350.000 exemplaires dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix).
Son auteur, Viviane Forrester, n'en est pas encore revenue ! Dans le sillage de ce succès éditorial - et donc économique ! - une association d' "Economistes contre la pensée unique" s 'est formée, et il n'est plus de forum contre l'ordre libéral auquel ne participe au moins un représentant de ce groupe. Avant l'été 2000, des étudiants et certains de leurs professeurs se sont rebellés contre l'absence de pluralisme dans l'enseignement de l'économie à l'université et une large publicité a été donnée par les médias à leur "révolte". En fait, cette situation n'appelle pas à moraliser le savoir économique en le relativisant et en le pluralisant.
Tous ces phénomènes sont l'indice de la véritable sacralisation de l'économie dont la "révolution conservatrice" a eu besoin pour légitimer les processus politiques qu'elle a induits. Ce processus vient d'être minutieusement analysé à travers un cas particulier, par l'éminent sociologue Pierre Bourdieu.