Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Anthropologie etc. - Page 4

  • Avis sur le livre : Les Neuf clés de la modernité - Jean-Marc Piotte, fin

    Fin de chronique du livre : Les Neuf clés de la modernité

    5. Il semble qu'on se marie plus aujourd'hui par amour que par raison (économique ou religieuse). C'est impensable dans des sociétés où les femmes n'ont pas acquis un minimum de liberté et d'égalité. Difficilement envisageable aussi dans des religions où le désir et l'amour physique sont discrédités. Plus la société se démocratise, plus la religion devient affaire privée, et plus le mariage vise autre chose que d'assumer la fonction reproductive, comme tendent à le montrer les mariages entre homosexuels.

    6. L'extension du marché détruit les communautés traditionnelles et provoque l'atomisation du corps social. De l'extérieur, on le voit bien dans le Tiers-Monde mais, même au Québec, la paroisse a perdu son sens, la structure familiale a éclaté, et le couple ne va pas très bien, le marché en arrive à dominer l'ensemble des relations sociales. Le gain, comme mobile d'action, devient la norme du comportement quotidien et se subordonne les vertus traditionnelles(p. 139). Comme pour compenser, l'État doit s'accroître pour coordonner harmonieusement ces individus libres qui ont droit au gain et aux plaisirs, mais aussi pour protéger ceux et celles qui n'ont plus de place dans le système.

    7. La république libérale tranche avec le passé. Même si Locke attribue le pouvoir exécutif au Roi, le pouvoir législatif, plus important, appartient au Parlement. Ce système, fondé en principe par et pour des individus libres et égaux, implique la représentation. Mais, qui doit être représenté ? On peut suivre l'extension de cette représentation au cours du XXe siècle: le droit de vote est devenu universel. Ce qui peut être bon signe, à condition que le citoyen soit formé pour choisir en connaissance de cause.

    8. La fonction traditionnelle de l'Église d'assurer la cohésion sociale devient insuffisamment remplie quand la religion perd de son importance. L'idée de nation essaiera de fonder cette cohésion de façon plus universelle, puisque plusieurs religions peuvent coexister dans une même nation. Au XIXe siècle se succéderont les États-Nations. On cherche à susciter un sentiment d'appartenance nationale, ce qui réussit assez bien, par exemple en Allemagne, en 1914, puisqu'en votant les crédits de guerre les sociaux-démocrates comptent plus sur le sentiment national que sur la conscience de classe. Reste à voir comment les phénomènes d'immigration et de mondialisation de l'économie joueront sur le sentiment national.

    9. Enfin, affaiblie dans son pouvoir politique, suspecte dans ses prétentions à la vérité certaine, la religion est devenue affaire privée. Même au Québec, l'Assemblée des évêques a décidé récemment de se retirer discrètement de l'École.

    Les Neuf clés de la modernité - Jean-Marc Piotte
    Québec Amérique/ 2001
    240 pages

  • Les Structures sociales de l'économie – BOURDIEU, suite

    Dans un ouvrage, paradoxalement titré Les Structures sociales de l'économie, Bourdieu - auteur des Méditations pascaliennes - révèle la spécificité quasi religieuse du postulat économique libéral. Quand l'économie libérale exprime sa loi, l'alpha et l'oméga du "socialement possible" serait énoncé. Pour les besoins de sa démonstration, le travail de Pierre Bourdieu affronte, avec les armes de la sociologie, un objet relevant typiquement de l'économie. Il s'agit d'une étude portant sur la production et la commercialisation de maisons individuelles dans le Val d'Oise.

    Négligeant délibérément l'indignation éthique que provoque légitimement chez certains l'existence d'un tel marché, l'auteur fait surgir "comme par surcroît" de fortes interrogations sur la vision anthropologique que la plupart des économistes mettent à l'œuvre dans leur pratique. Il semble aller de soi que le besoin de toit, le besoin de préserver son intimité, que le lieu où l'espèce se perpétue et où la force de travail se reconstitue, donne naissance à un marché sur la place publique. L'économie, tant qu'elle ne sera pas libérée de la fonction hégémonique qu'elle exerce sur la société, ne trouvera aucune raison valable de ne pas violer la sphère du privé…

    Des questions annexes occupent le devant des consciences. Faut-il mieux accéder à la propriété ou louer ? Rénover de l'ancien ou acquérir du neuf ? Acheter au plus juste ou voir grand pour sa postérité ? Ces questions dépendent à la fois de l'état de l'offre en matière d'habitation et de la demande des usagers, c'est-à-dire de leurs goûts, de leurs ambitions, et des moyens dont ils disposent. La relation entre l'offre et la demande s'inscrit dans l'histoire de "l'ordre social". Elle est aujourd'hui fortement médiée par diverses réglementations et aides financières instituées (aide aux constructeurs, aux particuliers, prêts, exonération, crédits incitatifs).

    L'Etat prend ainsi une part évidente aux investissements financiers dans le domaine de la construction et celui de la satisfaction des besoins de diverses catégories sociales en matière de logement. Il n'est pas difficile de voir, à propos de l'acquisition d'un produit aussi vital et intime que "la maison", la façon dont l'Etat impose et organise une politique particulière. Et cette politique est très évidemment impliquée par des présupposés économiques. C'est qu'entre l'époque où la famille fournissait la trame des relations sociales et la nôtre où des impératifs économiques semblent dominer, une véritable révolution copernicienne a modifié la société.

    Il ne s'agit plus de s'étonner des "pouvoirs" que confère à l'individu la richesse, mais de comprendre la véritable dictature sur les mentalités qu'exerce la conception dominante de l'économie.

    Auteur : Pierre Bourdieu
    Titre :
    Les Structures sociales de l'économie
    Editeur :
    Seuil
    Collection :
    Liber
    Année :
    2000
    Prix indicatif

     

  • Recension : Les Structures sociales de l'économie, de Pierre BOURDIEU

    Le discours économique libéral repose sur des postulats rarement présentés comme tels. Il semble par exemple évident que l'échange marchand obéit à la loi de l'offre et de la demande. Rares sont ceux qui remettent en cause le marché comme lieu naturel des échanges économiques. Le salaire apparaît au salarié comme la rétribution du travail qu'il a effectivement fourni. Etc., etc. Paradoxe.

    C'est à l'époque où la pensée contestataire commençait à dénoncer en France l'hégémonie d'une pensée soi disant unique, qu'un étrange phénomène de mauvaise conscience a atteint la réflexion de nombreux économistes sur leur propre enseignement. C'est la période où a été éditée dans l'hexagone une pléiade d'ouvrages opposant les exigences de l'éthique à l'horreur économique. Le plus célèbre d'entre eux a emprunté cette formule rimbaldienne ("l'horreur économique ") pour en faire le titre d'un best-seller (350.000 exemplaires dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix).

    Son auteur, Viviane Forrester, n'en est pas encore revenue ! Dans le sillage de ce succès éditorial - et donc économique ! - une association d' "Economistes contre la pensée unique" s 'est formée, et il n'est plus de forum contre l'ordre libéral auquel ne participe au moins un représentant de ce groupe. Avant l'été 2000, des étudiants et certains de leurs professeurs se sont rebellés contre l'absence de pluralisme dans l'enseignement de l'économie à l'université et une large publicité a été donnée par les médias à leur "révolte". En fait, cette situation n'appelle pas à moraliser le savoir économique en le relativisant et en le pluralisant.

    Tous ces phénomènes sont l'indice de la véritable sacralisation de l'économie dont la "révolution conservatrice" a eu besoin pour légitimer les processus politiques qu'elle a induits. Ce processus vient d'être minutieusement analysé à travers un cas particulier, par l'éminent sociologue Pierre Bourdieu.