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Anthropologie etc. - Page 4

  • Anthropologie et scepticisme

    Johannes Fabian a montré, dés le début des années 80, que le discours de l’anthropologie était généralement « allochronique », c’est à dire basé sur le déni d’un temps intersubjectif, ou encore, plus simplement, sur un déni de la communication qui ne peut pourtant manquer de se nouer entre l’anthropologue et ceux qu’il observe. Cette idée est fondatrice d’une autre façon de pratiquer l’anthropologie. Ses implications sont évidemment méthodologiques, mais aussi politiques dans la mesure où reconnaître qu’une communication peut se produire entre l’observateur et l’observé équivaut à rompre une relation asymétrique qui voit généralement le premier (l’observateur) établir une supériorité par rapport au second, presque à son insu, par le simple fait de le constituer en objet scientifique.

    Il semble pertinent de prolonger ce débat théorique en le passant au crible de la philosophie du langage ordinaire américaine au travers de trois philosophes : Wittgenstein, Austin et Cavell. Pour ce faire, nous nous réfèrerons à une situation ordinaire, une jeune mère qui parle à son enfant en public. L’analyse interactionnelle de cette scène, engagée à partir d’indices observables, tend à montrer que cette jeune femme est en train de produire une communication élaborée, référée à plusieurs niveaux d’interlocuteurs : un interlocuteur superficiel (son enfant) ; des interlocuteurs implicites (les parents qui passent). Mais cette stratégie discursive semble aussi détournée d’une finalité qui elle même semble indistincte. Cette situation permet de considérer, avec Austin, le langage comme un lieu d’accord ou un lieu de rupture, ou encore le mode permettant de s’entendre sur cette façon une de décrire et de comprendre le monde. Si l’on revient à l’exemple choisi, cette jeune femme semble entrevoir que le langage tend vers la possibilité de sa rupture, la possibilité de son échec, de sa non reconnaissance. En ce sens elle est en train de tester son « échantillon », c’est à dire sa valeur de représentativité, sa capacité à parler au nom des autres. En ce sens, elle est aussi en train d’affiner sa perception de la situation avec des mots, c’est à dire qu’elle ne fait pas que communiquer ; elle crée aussi un cadre de perception pour tâcher de comprendre sa propre situation. Elle pratique ce que nous faisons tous, et qui est compris dans le scepticisme tel qu’il est défini par Cavell : non pas « pouvoir savoir », soit le scepticisme au sens classique portant sur la connaissance (ce que je peux connaître) ; mais « vouloir savoir », ce qui renvoie à un scepticisme sur ma reconnaissance, sur mon intimité avec le autrui (Laugier (article Cavell ), soit le projet de la philosophie sceptique tel qu’il est formulé par Cavell. Nous entrevoyons alors tout l’apport de la philosophie sceptique pour l’anthropologie.

     

    Bibliographie

    Austin John Langshaw, Comment parler ?, trad. fr. dans langage, juin 1966.
    Ecrits philosophiques, trad.fr. Lou Aubert et Anne-Lise Hacker, Paris, Edition du Seuil, 1994.1971, (édition originale 1967),
    Le langage de la perception, texte établi d’après les notes manuscrites de l’auteur par G.-J. Warnock, trad. franç. Paul Gochet, Paris, éditions Armand Colin. 1970, (édition originale 1962)
    Quand dire, c’est faire, trad. franç. Gilles Lane, Paris, éditions du Seuil.
    - Bouveresse Jacques, La Parole Malheureuse, Mythe et Intériorité chez Wittgentetin , Edition de Minuit, 1971.
    Cavell Stanley. The Claim of Reason, Oxford University Press, 1979, tr.fr. LesVoix de la raison, Seuil, « L’ordre philosophique », 1996.
    A Pitch of philosophy, Harvard University Press, 1994.
    Must We Mean What We Say ?, Cambridge University Press, 1969.
    Une nouvelle Amérique encore inapprochable, Paris, l’Eclat, 1991.
    Foucault, Michel. « Il faut défendre la Société ». Cours au Collège de France. 1976, Hautes Etudes, Gallimard / Seuil, 1997.
    Dits et écrits II, 1976-1988, Quarto Gallimard, 2001

    Napoléon : Mon ambition était grande, Thierry Lentz, Gallimard, 1998, 160 pages (livres sur Napoléon)
    Goffman, Erving. Asiles. Etudes sur les conditions sociales des malades mentaux, Ed. De Minuit, 1968.
    La mise en scène dela vie quotidienne, aux éditions de Minuit, le sens commun.1973.
    1. La présentation de soi.
    2. Les relations en public
    Les rites d’interaction, aux éditions de Minuit, le sens commun.1974
    Stigmates. Les usages sociaux des handicapés aux éditions de Minuit, le sens commun, 1975.
    Façon de parler, aux éditions de Minuit, le sens commun.1981.
    Les cadres de l’expérience, aux éditions de Minuit, le sens commun, 1981.
    Gumperz John. Language and Social Group. Palo Alto,CA, StanfordUniversity Press. 1971.
    Language and social identity. Cambridge University Press 1982
    Discourse stratégies. Cambridge Univesity Press, 1982.
    Engager la conversation, Les Editions de Minuit, Le sens commun, 1989.
    Sociolinguistique interractionnelle, une approche interprétative, université de la Réunion, URA 1041 du CNRS, l’Harmattan, 1989.
    Grice H. Paul. Logic and Conversation, in Cole et Morgan J.L. Eds
    Laugier Sandra. Recommencer la philosophie : La Philosophie Américaine aujourd’hui, Paris, P.U.F. 1999a,
    Du Réel à l’Ordinaire : Quelle Philosophie du Langage aujourd’hui, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin. 1999b,
    Scepticisme et Comédie, Cavell entre Witgenstein, Emerson et Thoreau, in Esprit, mai 1999 c
    Wittgenstein, Ludwig. Recherches philosophiques, MacMillan, New Yorck, Oxford, Blackwell, 1953.
    De la Certitude, tr. fr. par Jacques Fauve, Edition Gallimard, 1976.
    Investigations philosophiques, trad.fr. par Pierre Klossowski, Paris Gallimard, 1961.

     

     

  • L’ethnologie d’entreprise : un terrain pas si banal

    L’enjeu de la préparation de ces assises de l’anthropologie repose tant sur l’objet scientifique, la démarche que les institutions qui les financent. Il semblerait que l’anthropologie du travail et plus spécifiquement celle de l’entreprise concentrent, peut-être plus que les autres, ces questionnements.


    Althabe écrivait déjà en 1991 qu’il fallait désacraliser l’entreprise, pour en faire un terrain banal. Quel bilan peut-il être fait 15 ans après ?


    A l’évidence l’entreprise se distingue des autres champs de la discipline pour au moins trois raisons. D’une part, il concerne un « terrain ethnologisé » ou tout du moins qui s’est approprié une partie du champ lexical de la discipline en en changeant le sens. Ainsi, les enquêtés parlent de « mythe », de « rite », de « tabou », de « rituel », de « culture », voire de « clan »…, plaçant ainsi l’anthropologue dans une situation polyphonique où catégories émiques (Olivier de Sardan, 1998) et catégories étiques se disputents.

    D’autre part, l’entreprise produit sa propre idéologie (Flamant, 2002), le discours managérial se piquant d’utiliser des idées, des termes provenant des sciences sociales : voir par exemple un cas d'étude d'entreprise de rénovation à Elne (66) . Enfin, elle constitue un terrain à l’accès difficile, les discours y étant contrôlés, quand ils ne sont pas censurés (Both, 2006). Du point de vue de la discipline, les réticences académiques à l’égard de l’entreprise comme objet légitime d’intérêt demeurent. Il semblerait qu’on assiste à un repli de l’anthropologie sur elle-même, autrement dit sur des terrains classiques, classiquement exotiques, où se lovent fidèlement à ses origines l’étonnement et l’émerveillement (Schlesier, 1997). Il faut dire aussi que les impostures se sont multipliées ces dernières années, l’anthropologie de l’entreprise étant surtout pratiquée ou plutôt revendiquée par des consultants, certains réduisant la discipline à une « méthodo : l’OP », pour observation participante (Both 2007a).

    La conjonction de ces mécanismes ne risque-t-elle pas in fine de bouter les anthropologues hors de l’entreprise ?

    Bibliographie

    ALTHABE Gérard, 1991, « Désacraliser l’entreprise : un terrain ethnologique banal », Journal des anthropologues, 43-44 : 17-21.
    BOTH Anne, 2007b (sous presse), Paroles de managers. Ethnologie du discours managérial, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux.
    – 2007 a, « L’anthropologue en quête de terrain. Le cas d’une étude dans des petits commerces, commanditée par un cabinet de consultants », Journal des anthropologues, 108.
    – 2006, « Le journal interne d’entreprise. Ethnographie d’une mission impossible », Ethnologie française, 1 : 45-54.
    DOQUET Anne, 1999. Les Masques dogon. Ethnologie savante et ethnologie autochtone, Paris, Karthala.
    FLAMANT Nicolas, 2002, Une anthropologie des managers, Paris, Presses universitaires de France.
    OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1998, « Emique », L’Homme 147 : 151-166.
    SCHLESIER Renate, 1997, « L’étonnement et l’émerveillement aux origines de l’anthropologie », Gradhiva, 22 : 59-65.

     

  • Histoire des sciences et sociologie

     

    Le séminaire situe les travaux d’histoire des sciences dans une perspective de sociologie générale. Les renouvellements connus dans ces spécialités depuis une trentaine d’années sont indiqués et discutés en relation avec ceux connus parallèlement en sociologie des sciences par exemple. Le séminaire vise d’une part à procurer aux étudiants qui n’étudient pas particulièrement les sciences des éléments qui pourraient leur paraître nécessaires en vue d’un travail réflexif sur la formation des sciences sociales et celle des objets qu’elles étudient aujourd’hui. Il vise d’autre part à procurer une information critique de base pour ceux qui souhaiteraient plus particulièrement étudier les sciences et les techniques. Sociologie de la sociologie, réflexivité, contrôle épistémologique, genèse des sciences sociales, réflexion historiographie, toutes ces attentions et ces compétences sont nécessaires dans l’exercice du métier. Comment y retrouver son chemin ? Jusqu’à quel point est-il possible de les satisfaire toutes ou bien en partie ? Le séminaire vise ces questions à partir d’une série de lectures et d’exemples discutés en séance.

    De la vigilance épistémologique à la pratique réflexive

    - Vincent Bontems, Bachelard, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
    - Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Claude Passeron,
    Le Métier de sociologue. Paris, Mouton, 1967.
    - Pierre Bourdieu, « Questions de sociologie », 
     Les Editions de Minuit, 2002, 277 pages.
    - Jean-Claude Passeron, 
    Le raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l'argumentation, Paris, Albin Michel, 2006. 

    Histoire intellectuelle et mémoire collective des savants

    - Éric Brian et Marie Jaisson, Le Sexisme de la première heure. Hasard et sociologie, Paris, éd. ‘Raisons d’agir’, 2007.
    - Olivier Christin (dir.),
    Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Paris, éditions Anne-Marie Métailié, 2010
    - Maurice Halbwachs,
    La Mémoire collective. Paris, Albin Michel, 1997 (nouvelle éd.). 
    - Maurice Halbwachs, La Topographie légendaire des évangiles en terre sainte. Paris, Presses universitaires de France, 2008 (nouvelle éd.). 
    - Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, éd. EHESS, 1992.