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Anthropologie etc. - Page 7

  • L’« ethnicité » des ethnologues népalais

    Le monde de la recherche académique entretient naturellement un rapport complexe avec le contexte social et politique dans lequel elle s’insère. Si on connaît assez bien l’histoire de l’université, et si quelques plumes audacieuses ont tenté de dévoiler les rapports de pouvoir au sein de l’institution académique dans notre société (Pouzargue, 1998) , il est rare que les anthropologues travaillant sur des terrains plus lointains enquêtent sur l’univers professionnel et intellectuel dans lequel évoluent leurs homologues issus d’une culture différente.

    Comme tout chercheur sur le terrain, j’ai été moi-même un temps en contact avec la recherche académique publique du pays dans lequel j’ai effectué mon enquête- le Népal. Je ne me propose pas d’en développer une ethnographie approfondie, mais simplement, à partir de quelques vignettes prises sur le vif, de rendre compte de la configuration socio-politique singulière de l’anthropologie produite au Népal (cf. Bhattachan, 1996). Que se passe-t-il quand l’anthropologie est appropriée par les intellectuels nationaux, comment peut-on décrire les liens que cette production intellectuelle entretient avec un certain nombre d’enjeux propres à l’évolution contemporaine d’un pays en pleine tourmente ?

    Il s’avère que l’anthropologie, réflexion sur l’altérité, semble s’être muée principalement en un discours de l’identité : une majorité de chercheurs népalais travaillent sur ce terrain a priori tout désigné que constitue leur propre milieu d’origine. Avant de rentrer dans le débat épistémologique que suggère cet état de fait, il convient d’abord d’observer les rapports que le monde de la formation universitaire entretient avec le marché de l’emploi, dans un pays où une majorité d’étudiants sont appelés à devenir des notables dans leur terroir.

    Cela dit, cette tendance indigéniste s’inscrit aussi plus ou moins directement dans la lutte pour la reconnaissance du concept d’ « ethnicité », concept désormais sorti du cadre spécialisé pour rejoindre le débat public (cf. Gellner & alii, 1998). Dans une société où, il y a peu de temps encore, le monarque et les deux classes supérieures de la société (Bahun et Chetri) assuraient une domination sans partage sur la mosaïque des peuples himalayens, on assiste aujourd’hui à l’émergence massive des revendications ethniciste, incluses dans l’idéologie maoïste du CPN-M, mais qui la dépassent assez largement. Plus encore, les « ethnicités » - et donc, aussi d’une certain manière l’ethnologie, ou du moins le regard ethnologique, qui les sous-tend- deviennent de facto un élément intrinsèque de l’émergence d’un espace public démocratique La manière dont le concept de culture est instrumentalisé de toutes parts pose alors des questions et des défis criants à l’anthropologie. On pourra sans doute rapprocher cela d’autres destinées indigènes connues par l’anthropologie dans ces ‘territoires vierges’ chers aux premières vagues de l’ethnographie exotique occidentale.

    BHATTACHAN Krishna B.“Sociological and anthropological research and teaching in Nepal : western adaptation versus indigenization”. Social sciences in Nepal, n°2.
    DES CHENES Mary. 1996 “Ethnography in the Janajati-yug : lessons from reading Rodhi and other Tamu writings” in Studies in Nepali history and society, vol.1, n°1.
    GELLNER DAVID N., PFAFF-CZARNESKA Joanna, WHELPTON John (dirs.). 1997 Nationalism and ethnicity in a hindu kingdom. The politics of culture in contemporary Nepal. Amsterdam, Harwood.
    LECOMTE-TILOUINE Marie, DOLLFUS Pascale (dirs.). 2003 Ethnic revival and religious turmoil. Identities and representations in the Himalayas. New Delhi, Oxford University Press.
    POUZARGUE Francine. 1998, L’arbre à palabres. Anthropologie du pouvoir à l’université. Bordeaux, William Blake.

     

  • Fin de l’anthropologie sociale ? suite

    Que s’est-il donc passé ?

    L’anthropologie était née, dès la seconde moitié du 19e siècle, de deux matrices épistémiques, l’une de nature sociologique, l’autre de type naturaliste, toutes deux posant la possibilité d’une investigation empirique et du recueil objectif des faits. Ce projet d’inventaire s’appuyait sur certains présupposés. On ne mettait peut-être pas vraiment en question l’extériorité de l’observé sur l’observateur, ni même la possibilité d’une objectivité absolue de l’observation, quoique…ne prenons pas nos prédécesseurs pour plus naïfs qu’ils n’étaient. La connaissance de l’homme, tout comme celui d’un autre règne de la nature, impliquait avant tout la prudence, l’observation minutieuse, le recueil des faits, leur classement ; leur comparaison et leur interprétation allaient se faire mais l’urgence était moindre. Dans la seconde moitié du 20e siècle, tout au moins jusque dans les années 70, les ethnologues se consacraient encore –enfin, beaucoup d’entre eux—à documenter des cultures dont on ne savait rien ou très peu de choses.

    L’enquête de terrain se faisait, dans la plupart des cas, sur des groupes jamais étudiés, dont la langue n’avait pas été répertoriée, dont on ne savait pas au départ s’ils pratiquaient l’infanticide ou la chasse aux têtes, s’ils étaient polygames, à quoi ressemblaient leur croyances religieuse, s’ils adoraient le soleil ou mangeaient leurs ennemis, comment ils se mariaient ou construisaient leurs maisons. On croit à tort et on répète sans cesse que la magie de l’exotique motivait ces recherches. C’était plutôt, je crois, la magie de l’inconnu, la quête du nouveau, du jamais découvert.

    Le but de l’ethnologie de terrain était de découvrir cela puis de ramener les données chez soi pour les verser dans le pot commun. Il était entendu que ces données, une fois rangées sur les étagères de la grande collection anthropologique, attendaient d’être soumises à la scrutation comparative et livrer leur substantifique moelle, par suite de diverses moutures et pressages à froid et à chaud, et autres distillations savantes, et nous apprendre enfin en quoi consistait la culture humaine. Mauss faisait cela.

    La médaille avait donc deux faces : le recueil des données (l’inventaire en lui-même), en était l’endroit, l’envers en était la comparaison sans laquelle la laborieuse accumulation n’avait pas de signification. La comparaison a donc toujours été au centre du projet anthropologique, il en est l’alibi ultime.

    Seulement voilà, si on en croit la boutade peut-être apocryphe d’Evans-Pritchard, la comparaison est LA méthode de l’anthropologie sociale mais on ne sait pas en quoi elle consiste exactement. Bien sûr tout le monde fait ou prétend faire de la comparaison. Ceux qui se livrent à cet exercice de façon systématique et persistante en puisant dans un large éventail de données sont rares. En tout état de cause on a bien fait un inventaire (pas vraiment fini, plutôt mis en comas artificiel), on a un peu comparé et puis on a tourné la page.

  • Fin de l’anthropologie sociale ?

    Comme le souligne fort à propos le rapport de conjoncture de la section 38, l’anthropologie sociale est aujourd’hui marquée par la disparition de son projet fondamental qui était celui d’un inventaire des sociétés humaines, inventaire qui devait donner lieu, grâce à un processus de comparaison raisonnée, à la connaissance de lois ou tout du moins de régularités commandant les formes de vie collective et leur évolution dans le temps.

    INVENTAIRE ET COMPARAISON

    Les ordres sociaux, les cultures se mettraient en place, pensait-on, autour de quelques points fixes — les universaux, les invariants—, le reste devait obéir à de règles précises de transformation. Ce programme passe maintenant pour caduque. Certes aucune déclaration solennelle et publique n’a annoncé cet abandon. Plutôt que d’une décision consciente et brutale il y a eu une déshérence progressive, on ne s’est pas rué vers la sortie, mais le public s’est clairsemé et la salle est restée vide –à l’exception de quelques entêtés de la forêt amazonienne ou des hautes vallées de Nouvelle Guinée.

    En lieu et place d’un inventaire des groupes ethniques, s’est mis en place un autre inventaire. On se consacre plus volontiers désormais à examiner des configurations déjà repérées mais habilement reconstruites et réinterprétées dans des sociétés et des cultures sur lesquelles on sait déjà beaucoup de choses. En d’autres termes plutôt qu’un inventaire des choses inconnues on se livre à celui des choses connues, mais mal (pense-t-on).

    Ou bien, autre tactique fructueuse, on repère un « néo-objet ». De cette façon les néo-ruraux, les néo-indiens, les néo-vampires, les néo-chamanes, les tiffosi, les surfeurs, les martyrs jihadistes, les écologistes profonds et d’autres personnages hauts en couleur de la grande comédie humaine deviennent nos primitifs à nous, anthropologues du 21e siècle. Il faut avouer que de ce point de vue l’anthropologie s’est incroyablement renouvelée et a pris un essor fabuleux.

    On peut tirer sur tout ce qui bouge et la saison de la chasse n’est pas prête d’être close. Notre petite entreprise ne connaît pas la crise