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Anthropologie etc. - Page 7

  • Les Structures sociales de l'économie – BOURDIEU, suite

    Dans un ouvrage, paradoxalement titré Les Structures sociales de l'économie, Bourdieu - auteur des Méditations pascaliennes - révèle la spécificité quasi religieuse du postulat économique libéral. Quand l'économie libérale exprime sa loi, l'alpha et l'oméga du "socialement possible" serait énoncé. Pour les besoins de sa démonstration, le travail de Pierre Bourdieu affronte, avec les armes de la sociologie, un objet relevant typiquement de l'économie. Il s'agit d'une étude portant sur la production et la commercialisation de maisons individuelles dans le Val d'Oise.

    Négligeant délibérément l'indignation éthique que provoque légitimement chez certains l'existence d'un tel marché, l'auteur fait surgir "comme par surcroît" de fortes interrogations sur la vision anthropologique que la plupart des économistes mettent à l'œuvre dans leur pratique. Il semble aller de soi que le besoin de toit, le besoin de préserver son intimité, que le lieu où l'espèce se perpétue et où la force de travail se reconstitue, donne naissance à un marché sur la place publique. L'économie, tant qu'elle ne sera pas libérée de la fonction hégémonique qu'elle exerce sur la société, ne trouvera aucune raison valable de ne pas violer la sphère du privé…

    Des questions annexes occupent le devant des consciences. Faut-il mieux accéder à la propriété ou louer ? Rénover de l'ancien ou acquérir du neuf ? Acheter au plus juste ou voir grand pour sa postérité ? Ces questions dépendent à la fois de l'état de l'offre en matière d'habitation et de la demande des usagers, c'est-à-dire de leurs goûts, de leurs ambitions, et des moyens dont ils disposent. La relation entre l'offre et la demande s'inscrit dans l'histoire de "l'ordre social". Elle est aujourd'hui fortement médiée par diverses réglementations et aides financières instituées (aide aux constructeurs, aux particuliers, prêts, exonération, crédits incitatifs).

    L'Etat prend ainsi une part évidente aux investissements financiers dans le domaine de la construction et celui de la satisfaction des besoins de diverses catégories sociales en matière de logement. Il n'est pas difficile de voir, à propos de l'acquisition d'un produit aussi vital et intime que "la maison", la façon dont l'Etat impose et organise une politique particulière. Et cette politique est très évidemment impliquée par des présupposés économiques. C'est qu'entre l'époque où la famille fournissait la trame des relations sociales et la nôtre où des impératifs économiques semblent dominer, une véritable révolution copernicienne a modifié la société.

    Il ne s'agit plus de s'étonner des "pouvoirs" que confère à l'individu la richesse, mais de comprendre la véritable dictature sur les mentalités qu'exerce la conception dominante de l'économie.

    Auteur : Pierre Bourdieu
    Titre :
    Les Structures sociales de l'économie
    Editeur :
    Seuil
    Collection :
    Liber
    Année :
    2000
    Prix indicatif

     

  • Recension : Les Structures sociales de l'économie, de Pierre BOURDIEU

    Le discours économique libéral repose sur des postulats rarement présentés comme tels. Il semble par exemple évident que l'échange marchand obéit à la loi de l'offre et de la demande. Rares sont ceux qui remettent en cause le marché comme lieu naturel des échanges économiques. Le salaire apparaît au salarié comme la rétribution du travail qu'il a effectivement fourni. Etc., etc. Paradoxe.

    C'est à l'époque où la pensée contestataire commençait à dénoncer en France l'hégémonie d'une pensée soi disant unique, qu'un étrange phénomène de mauvaise conscience a atteint la réflexion de nombreux économistes sur leur propre enseignement. C'est la période où a été éditée dans l'hexagone une pléiade d'ouvrages opposant les exigences de l'éthique à l'horreur économique. Le plus célèbre d'entre eux a emprunté cette formule rimbaldienne ("l'horreur économique ") pour en faire le titre d'un best-seller (350.000 exemplaires dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix).

    Son auteur, Viviane Forrester, n'en est pas encore revenue ! Dans le sillage de ce succès éditorial - et donc économique ! - une association d' "Economistes contre la pensée unique" s 'est formée, et il n'est plus de forum contre l'ordre libéral auquel ne participe au moins un représentant de ce groupe. Avant l'été 2000, des étudiants et certains de leurs professeurs se sont rebellés contre l'absence de pluralisme dans l'enseignement de l'économie à l'université et une large publicité a été donnée par les médias à leur "révolte". En fait, cette situation n'appelle pas à moraliser le savoir économique en le relativisant et en le pluralisant.

    Tous ces phénomènes sont l'indice de la véritable sacralisation de l'économie dont la "révolution conservatrice" a eu besoin pour légitimer les processus politiques qu'elle a induits. Ce processus vient d'être minutieusement analysé à travers un cas particulier, par l'éminent sociologue Pierre Bourdieu.

  • Avis sur le livre : Les Neuf clés de la modernité - Jean-Marc Piotte, suite

    Suite de ma chronique du livre : Les Neuf clés de la modernité 

    2. L'univers des Grecs est hiérarchisé, naturellement et socialement, et on connaît les limites de la démocratie athénienne. Platon et Aristote se méfient de cette forme de gouvernement. Pour les chrétiens, nous sommes tous égaux devant Dieu, mais inégaux entre nous, les laïcs devant obéissance aux clercs comme le Roi doit se soumettre au Pape. Par contre, les Modernes subordonnent l'Église à l'État, la bourgeoisie revendique l'égalité, au moins pour elle-même; débordée sur sa gauche, elle étendra l'égalité aux travailleurs, aux femmes et aux enfants, du moins formellement. Or, peut-il y avoir égalité réelle pour qui ne bénéficie pas au départ de conditions d'existence décentes?

    3. Les Grecs et l'Église soumettent généralement les passions à la raison, au sens où notre nature, inscrite d'une certaine façon dans l'ordre des choses, prescrit d'agir rationnellement, donc de maîtriser nos passions : voir Mythe et religion en Grèce ancienne, de Jean-Pierre Vernant. Les Modernes apprécient à leur façon la raison, mais ne la voient pas comme l'ennemie des passions, et ne pensent pas que la connaissance conduit à la reconnaissance d'un sens du monde et de l'homme toujours déjà là et exprimable en termes de fins. Au contraire, la raison ne détermine plus ce qu'est la finalité humaine; elle ne juge plus les désirs et les passions au nom de cette fin; elle permet à l'homme de prévoir les besoins futurs et d'agencer en conséquence ses actions. La raison est au service des passions. Elle est dorénavant instrumentale (p. 75). D'où la morale utilitariste contre laquelle Kant s'évertue; mais, fin XIXe, Nietzsche et Freud insisteront sur cet aspect passionnel de l'être humain.

    4. Les sociétés grecque et médiévale ne valorisent pas le travail comme tel; c'est l'affaire des esclaves, des artisans ou des serfs, d'autant plus que, pour les chrétiens, c'est une punition. Or, le capitalisme vise plus qu'une autosuffisance fondée sur la propriété foncière. Avec la manufacture et l'industrie, le travail apparaît comme producteur de valeur. Hobbes note déjà que la valeur d'un homme n'est plus déterminée par ses vertus ou par son rapport à Dieu, mais par son prix sur le marché ( p. 93). Pour Locke, la propriété privée de la terre est justifiée dans la mesure où on la travaille. Le travail devient le meilleur moyen pour assurer la satisfaction de nos besoins mêmes futurs, puisqu'il produit de l'argent, plus facilement accumulable que des légumes.

    Les Neuf clés de la modernité - Jean-Marc Piotte
    Québec Amérique/ 2001
    240 pages