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Anthropologie etc. - Page 5

  • L’altérité à l’heure de la post-colonialité

    Plus que jamais, la culture est au centre d’un enjeu politique d’envergure au point de servir de puissant instrument d’assimilation, de décivilisation et de dénivellement. C’est ce dont témoigne la naissance à la fin du XIXe siècle d’un art africain fortement imprégné du courant évolutionniste ; un paradigme fondé sur l’analogie d’une évolution biologique et stratigraphique et une évolution culturelle. C’est dans cette perspective, qu’en dépit de l’intégration de l’art nègre dans les catégories de l’esthétique, l’ensemble de la production matérielle africaine est dorénavant utilisée pour jeter une passerelle entre l’art et l’ethnographie. On observe ainsi un intérêt croissant du monde occidental pour la sculpture africaine de nos jours.

    Dans un tel contexte, l’Afrique est célébrée pour sa sculpture considérée dans le monde occidental comme une forme artistique extrêmement évoluée et sophistiquée avec des milliers d’années d’histoire derrière elle. Elle est même parfois considérée comme une subdivision de l’« art primitif », concept issu de l’évolution darwinienne. Il découle ainsi d’une théorie émanant de L. de Vinci selon laquelle, la peinture, en vogue en Occident, serait la forme d’art la plus élevée et la dernière à avoir émergée. Ce qui mène dès lors à la conclusion que les sociétés ne possédant que les sculptures sont attardées. En dépit de la découverte des peintures rupestres datant de l’âge de pierre qui vint annuler ou relativiser cette théorie, l’idée d’un « art primitif » africain arriéré ou originel a persisté, confortant ainsi l’idée de Hegel qui suggérait déjà l’exclusion de l’Afrique du monde historique.

    Ainsi, l’expression « art primitif » héritée des anthropologues du XIXe siècle qui considéraient l’Europe de leur époque comme l’apogée de l’évolution sociale connaît encore de beaux jours même si elle se révèle dans son acception courante comme un concept négatif. Elle est alors définie comme appartenant aux régions ne faisant pas partie des traditions occidentales et orientales tournées vers la modernité. Il s’agit donc assurément d’une définition ethnocentrique. Il apparaît évident à travers cette forme d’approche que les études en art portant sur les régions jusque là peu connues de l’Occident n’avaient d’autres buts que la recherche de l’origine première de l’art en la sculpture. C’est ce qu’atteste du reste le recours à l’euphémisme d’« art premier ». Ce qui suppose que l’art extra-occidental soit antérieur à tout autre. Toute chose qui pose fort mal le problème de l’origine et d’une éventuelle perspective historique linéaire en laquelle viendrait sagement se ranger les cultures.



    REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES.

    - AMSELLE, J.L., Doit-on exposer l’art africain ?, Le musée cannibale, Gonseth, 2002.

    - LEFEUVRE Daniel, Pour en finir avec la repentance coloniale,  Flammarion Collection : Champs Actuel, 2008

    - COLIN, R., Le Primitivisme et l’art moderne, Paris : Thames and Hudson, coll. L’Univers de l’art, 1997.

    - DELE, J., Western might, African voice. African art at the dawn of another millenium,1998.

    - DUPAIGNE, B., Quels musées d’ethnographie pour demain ? Quel avenir pour les collections extra-européennes ?, Paris : Musée de l’Homme, 1993.

    - GRAILLE, C., Primitifs d’hier, artistes de demain : l’art kanak et océanien en quête d’une nouvelle légitimité, 2003.

  • Anthropologie et scepticisme

    Johannes Fabian a montré, dés le début des années 80, que le discours de l’anthropologie était généralement « allochronique », c’est à dire basé sur le déni d’un temps intersubjectif, ou encore, plus simplement, sur un déni de la communication qui ne peut pourtant manquer de se nouer entre l’anthropologue et ceux qu’il observe. Cette idée est fondatrice d’une autre façon de pratiquer l’anthropologie. Ses implications sont évidemment méthodologiques, mais aussi politiques dans la mesure où reconnaître qu’une communication peut se produire entre l’observateur et l’observé équivaut à rompre une relation asymétrique qui voit généralement le premier (l’observateur) établir une supériorité par rapport au second, presque à son insu, par le simple fait de le constituer en objet scientifique.

    Il semble pertinent de prolonger ce débat théorique en le passant au crible de la philosophie du langage ordinaire américaine au travers de trois philosophes : Wittgenstein, Austin et Cavell. Pour ce faire, nous nous réfèrerons à une situation ordinaire, une jeune mère qui parle à son enfant en public. L’analyse interactionnelle de cette scène, engagée à partir d’indices observables, tend à montrer que cette jeune femme est en train de produire une communication élaborée, référée à plusieurs niveaux d’interlocuteurs : un interlocuteur superficiel (son enfant) ; des interlocuteurs implicites (les parents qui passent). Mais cette stratégie discursive semble aussi détournée d’une finalité qui elle même semble indistincte. Cette situation permet de considérer, avec Austin, le langage comme un lieu d’accord ou un lieu de rupture, ou encore le mode permettant de s’entendre sur cette façon une de décrire et de comprendre le monde. Si l’on revient à l’exemple choisi, cette jeune femme semble entrevoir que le langage tend vers la possibilité de sa rupture, la possibilité de son échec, de sa non reconnaissance. En ce sens elle est en train de tester son « échantillon », c’est à dire sa valeur de représentativité, sa capacité à parler au nom des autres. En ce sens, elle est aussi en train d’affiner sa perception de la situation avec des mots, c’est à dire qu’elle ne fait pas que communiquer ; elle crée aussi un cadre de perception pour tâcher de comprendre sa propre situation. Elle pratique ce que nous faisons tous, et qui est compris dans le scepticisme tel qu’il est défini par Cavell : non pas « pouvoir savoir », soit le scepticisme au sens classique portant sur la connaissance (ce que je peux connaître) ; mais « vouloir savoir », ce qui renvoie à un scepticisme sur ma reconnaissance, sur mon intimité avec le autrui (Laugier (article Cavell ), soit le projet de la philosophie sceptique tel qu’il est formulé par Cavell. Nous entrevoyons alors tout l’apport de la philosophie sceptique pour l’anthropologie.

     

    Bibliographie

    Austin John Langshaw, Comment parler ?, trad. fr. dans langage, juin 1966.
    Ecrits philosophiques, trad.fr. Lou Aubert et Anne-Lise Hacker, Paris, Edition du Seuil, 1994.1971, (édition originale 1967),
    Le langage de la perception, texte établi d’après les notes manuscrites de l’auteur par G.-J. Warnock, trad. franç. Paul Gochet, Paris, éditions Armand Colin. 1970, (édition originale 1962)
    Quand dire, c’est faire, trad. franç. Gilles Lane, Paris, éditions du Seuil.
    - Bouveresse Jacques, La Parole Malheureuse, Mythe et Intériorité chez Wittgentetin , Edition de Minuit, 1971.
    Cavell Stanley. The Claim of Reason, Oxford University Press, 1979, tr.fr. LesVoix de la raison, Seuil, « L’ordre philosophique », 1996.
    A Pitch of philosophy, Harvard University Press, 1994.
    Must We Mean What We Say ?, Cambridge University Press, 1969.
    Une nouvelle Amérique encore inapprochable, Paris, l’Eclat, 1991.
    Foucault, Michel. « Il faut défendre la Société ». Cours au Collège de France. 1976, Hautes Etudes, Gallimard / Seuil, 1997.
    Dits et écrits II, 1976-1988, Quarto Gallimard, 2001

    Napoléon : Mon ambition était grande, Thierry Lentz, Gallimard, 1998, 160 pages (livres sur Napoléon)
    Goffman, Erving. Asiles. Etudes sur les conditions sociales des malades mentaux, Ed. De Minuit, 1968.
    La mise en scène dela vie quotidienne, aux éditions de Minuit, le sens commun.1973.
    1. La présentation de soi.
    2. Les relations en public
    Les rites d’interaction, aux éditions de Minuit, le sens commun.1974
    Stigmates. Les usages sociaux des handicapés aux éditions de Minuit, le sens commun, 1975.
    Façon de parler, aux éditions de Minuit, le sens commun.1981.
    Les cadres de l’expérience, aux éditions de Minuit, le sens commun, 1981.
    Gumperz John. Language and Social Group. Palo Alto,CA, StanfordUniversity Press. 1971.
    Language and social identity. Cambridge University Press 1982
    Discourse stratégies. Cambridge Univesity Press, 1982.
    Engager la conversation, Les Editions de Minuit, Le sens commun, 1989.
    Sociolinguistique interractionnelle, une approche interprétative, université de la Réunion, URA 1041 du CNRS, l’Harmattan, 1989.
    Grice H. Paul. Logic and Conversation, in Cole et Morgan J.L. Eds
    Laugier Sandra. Recommencer la philosophie : La Philosophie Américaine aujourd’hui, Paris, P.U.F. 1999a,
    Du Réel à l’Ordinaire : Quelle Philosophie du Langage aujourd’hui, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin. 1999b,
    Scepticisme et Comédie, Cavell entre Witgenstein, Emerson et Thoreau, in Esprit, mai 1999 c
    Wittgenstein, Ludwig. Recherches philosophiques, MacMillan, New Yorck, Oxford, Blackwell, 1953.
    De la Certitude, tr. fr. par Jacques Fauve, Edition Gallimard, 1976.
    Investigations philosophiques, trad.fr. par Pierre Klossowski, Paris Gallimard, 1961.

     

     

  • L’ethnologie d’entreprise : un terrain pas si banal

    L’enjeu de la préparation de ces assises de l’anthropologie repose tant sur l’objet scientifique, la démarche que les institutions qui les financent. Il semblerait que l’anthropologie du travail et plus spécifiquement celle de l’entreprise concentrent, peut-être plus que les autres, ces questionnements.


    Althabe écrivait déjà en 1991 qu’il fallait désacraliser l’entreprise, pour en faire un terrain banal. Quel bilan peut-il être fait 15 ans après ?


    A l’évidence l’entreprise se distingue des autres champs de la discipline pour au moins trois raisons. D’une part, il concerne un « terrain ethnologisé » ou tout du moins qui s’est approprié une partie du champ lexical de la discipline en en changeant le sens. Ainsi, les enquêtés parlent de « mythe », de « rite », de « tabou », de « rituel », de « culture », voire de « clan »…, plaçant ainsi l’anthropologue dans une situation polyphonique où catégories émiques (Olivier de Sardan, 1998) et catégories étiques se disputents.

    D’autre part, l’entreprise produit sa propre idéologie (Flamant, 2002), le discours managérial se piquant d’utiliser des idées, des termes provenant des sciences sociales : voir par exemple un cas d'étude d'entreprise de rénovation à Elne (66) . Enfin, elle constitue un terrain à l’accès difficile, les discours y étant contrôlés, quand ils ne sont pas censurés (Both, 2006). Du point de vue de la discipline, les réticences académiques à l’égard de l’entreprise comme objet légitime d’intérêt demeurent. Il semblerait qu’on assiste à un repli de l’anthropologie sur elle-même, autrement dit sur des terrains classiques, classiquement exotiques, où se lovent fidèlement à ses origines l’étonnement et l’émerveillement (Schlesier, 1997). Il faut dire aussi que les impostures se sont multipliées ces dernières années, l’anthropologie de l’entreprise étant surtout pratiquée ou plutôt revendiquée par des consultants, certains réduisant la discipline à une « méthodo : l’OP », pour observation participante (Both 2007a).

    La conjonction de ces mécanismes ne risque-t-elle pas in fine de bouter les anthropologues hors de l’entreprise ?

    Bibliographie

    ALTHABE Gérard, 1991, « Désacraliser l’entreprise : un terrain ethnologique banal », Journal des anthropologues, 43-44 : 17-21.
    BOTH Anne, 2007b (sous presse), Paroles de managers. Ethnologie du discours managérial, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux.
    – 2007 a, « L’anthropologue en quête de terrain. Le cas d’une étude dans des petits commerces, commanditée par un cabinet de consultants », Journal des anthropologues, 108.
    – 2006, « Le journal interne d’entreprise. Ethnographie d’une mission impossible », Ethnologie française, 1 : 45-54.
    DOQUET Anne, 1999. Les Masques dogon. Ethnologie savante et ethnologie autochtone, Paris, Karthala.
    FLAMANT Nicolas, 2002, Une anthropologie des managers, Paris, Presses universitaires de France.
    OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1998, « Emique », L’Homme 147 : 151-166.
    SCHLESIER Renate, 1997, « L’étonnement et l’émerveillement aux origines de l’anthropologie », Gradhiva, 22 : 59-65.