L’enjeu de la préparation de ces assises de l’anthropologie repose tant sur l’objet scientifique, la démarche que les institutions qui les financent. Il semblerait que l’anthropologie du travail et plus spécifiquement celle de l’entreprise concentrent, peut-être plus que les autres, ces questionnements.
Althabe écrivait déjà en 1991 qu’il fallait désacraliser l’entreprise, pour en faire un terrain banal. Quel bilan peut-il être fait 15 ans après ?
A l’évidence l’entreprise se distingue des autres champs de la discipline pour au moins trois raisons. D’une part, il concerne un « terrain ethnologisé » ou tout du moins qui s’est approprié une partie du champ lexical de la discipline en en changeant le sens. Ainsi, les enquêtés parlent de « mythe », de « rite », de « tabou », de « rituel », de « culture », voire de « clan »…, plaçant ainsi l’anthropologue dans une situation polyphonique où catégories émiques (Olivier de Sardan, 1998) et catégories étiques se disputents.
D’autre part, l’entreprise produit sa propre idéologie (Flamant, 2002), le discours managérial se piquant d’utiliser des idées, des termes provenant des sciences sociales : voir par exemple un cas d'étude d'entreprise de rénovation à Elne (66) . Enfin, elle constitue un terrain à l’accès difficile, les discours y étant contrôlés, quand ils ne sont pas censurés (Both, 2006). Du point de vue de la discipline, les réticences académiques à l’égard de l’entreprise comme objet légitime d’intérêt demeurent. Il semblerait qu’on assiste à un repli de l’anthropologie sur elle-même, autrement dit sur des terrains classiques, classiquement exotiques, où se lovent fidèlement à ses origines l’étonnement et l’émerveillement (Schlesier, 1997). Il faut dire aussi que les impostures se sont multipliées ces dernières années, l’anthropologie de l’entreprise étant surtout pratiquée ou plutôt revendiquée par des consultants, certains réduisant la discipline à une « méthodo : l’OP », pour observation participante (Both 2007a).
La conjonction de ces mécanismes ne risque-t-elle pas in fine de bouter les anthropologues hors de l’entreprise ?
Bibliographie
ALTHABE Gérard, 1991, « Désacraliser l’entreprise : un terrain ethnologique banal », Journal des anthropologues, 43-44 : 17-21.
BOTH Anne, 2007b (sous presse), Paroles de managers. Ethnologie du discours managérial, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux.
– 2007 a, « L’anthropologue en quête de terrain. Le cas d’une étude dans des petits commerces, commanditée par un cabinet de consultants », Journal des anthropologues, 108.
– 2006, « Le journal interne d’entreprise. Ethnographie d’une mission impossible », Ethnologie française, 1 : 45-54.
DOQUET Anne, 1999. Les Masques dogon. Ethnologie savante et ethnologie autochtone, Paris, Karthala.
FLAMANT Nicolas, 2002, Une anthropologie des managers, Paris, Presses universitaires de France.
OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1998, « Emique », L’Homme 147 : 151-166.
SCHLESIER Renate, 1997, « L’étonnement et l’émerveillement aux origines de l’anthropologie », Gradhiva, 22 : 59-65.