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  • Fin de l’anthropologie sociale ? suite

    Que s’est-il donc passé ?

    L’anthropologie était née, dès la seconde moitié du 19e siècle, de deux matrices épistémiques, l’une de nature sociologique, l’autre de type naturaliste, toutes deux posant la possibilité d’une investigation empirique et du recueil objectif des faits. Ce projet d’inventaire s’appuyait sur certains présupposés. On ne mettait peut-être pas vraiment en question l’extériorité de l’observé sur l’observateur, ni même la possibilité d’une objectivité absolue de l’observation, quoique…ne prenons pas nos prédécesseurs pour plus naïfs qu’ils n’étaient. La connaissance de l’homme, tout comme celui d’un autre règne de la nature, impliquait avant tout la prudence, l’observation minutieuse, le recueil des faits, leur classement ; leur comparaison et leur interprétation allaient se faire mais l’urgence était moindre. Dans la seconde moitié du 20e siècle, tout au moins jusque dans les années 70, les ethnologues se consacraient encore –enfin, beaucoup d’entre eux—à documenter des cultures dont on ne savait rien ou très peu de choses.

    L’enquête de terrain se faisait, dans la plupart des cas, sur des groupes jamais étudiés, dont la langue n’avait pas été répertoriée, dont on ne savait pas au départ s’ils pratiquaient l’infanticide ou la chasse aux têtes, s’ils étaient polygames, à quoi ressemblaient leur croyances religieuse, s’ils adoraient le soleil ou mangeaient leurs ennemis, comment ils se mariaient ou construisaient leurs maisons. On croit à tort et on répète sans cesse que la magie de l’exotique motivait ces recherches. C’était plutôt, je crois, la magie de l’inconnu, la quête du nouveau, du jamais découvert.

    Le but de l’ethnologie de terrain était de découvrir cela puis de ramener les données chez soi pour les verser dans le pot commun. Il était entendu que ces données, une fois rangées sur les étagères de la grande collection anthropologique, attendaient d’être soumises à la scrutation comparative et livrer leur substantifique moelle, par suite de diverses moutures et pressages à froid et à chaud, et autres distillations savantes, et nous apprendre enfin en quoi consistait la culture humaine. Mauss faisait cela.

    La médaille avait donc deux faces : le recueil des données (l’inventaire en lui-même), en était l’endroit, l’envers en était la comparaison sans laquelle la laborieuse accumulation n’avait pas de signification. La comparaison a donc toujours été au centre du projet anthropologique, il en est l’alibi ultime.

    Seulement voilà, si on en croit la boutade peut-être apocryphe d’Evans-Pritchard, la comparaison est LA méthode de l’anthropologie sociale mais on ne sait pas en quoi elle consiste exactement. Bien sûr tout le monde fait ou prétend faire de la comparaison. Ceux qui se livrent à cet exercice de façon systématique et persistante en puisant dans un large éventail de données sont rares. En tout état de cause on a bien fait un inventaire (pas vraiment fini, plutôt mis en comas artificiel), on a un peu comparé et puis on a tourné la page.