Comme le souligne fort à propos le rapport de conjoncture de la section 38, l’anthropologie sociale est aujourd’hui marquée par la disparition de son projet fondamental qui était celui d’un inventaire des sociétés humaines, inventaire qui devait donner lieu, grâce à un processus de comparaison raisonnée, à la connaissance de lois ou tout du moins de régularités commandant les formes de vie collective et leur évolution dans le temps.
INVENTAIRE ET COMPARAISON
Les ordres sociaux, les cultures se mettraient en place, pensait-on, autour de quelques points fixes — les universaux, les invariants—, le reste devait obéir à de règles précises de transformation. Ce programme passe maintenant pour caduque. Certes aucune déclaration solennelle et publique n’a annoncé cet abandon. Plutôt que d’une décision consciente et brutale il y a eu une déshérence progressive, on ne s’est pas rué vers la sortie, mais le public s’est clairsemé et la salle est restée vide –à l’exception de quelques entêtés de la forêt amazonienne ou des hautes vallées de Nouvelle Guinée.
En lieu et place d’un inventaire des groupes ethniques, s’est mis en place un autre inventaire. On se consacre plus volontiers désormais à examiner des configurations déjà repérées mais habilement reconstruites et réinterprétées dans des sociétés et des cultures sur lesquelles on sait déjà beaucoup de choses. En d’autres termes plutôt qu’un inventaire des choses inconnues on se livre à celui des choses connues, mais mal (pense-t-on).
Ou bien, autre tactique fructueuse, on repère un « néo-objet ». De cette façon les néo-ruraux, les néo-indiens, les néo-vampires, les néo-chamanes, les tiffosi, les surfeurs, les martyrs jihadistes, les écologistes profonds et d’autres personnages hauts en couleur de la grande comédie humaine deviennent nos primitifs à nous, anthropologues du 21e siècle. Il faut avouer que de ce point de vue l’anthropologie s’est incroyablement renouvelée et a pris un essor fabuleux.
On peut tirer sur tout ce qui bouge et la saison de la chasse n’est pas prête d’être close. Notre petite entreprise ne connaît pas la crise